Daniel et Chon

Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront (René Char)


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Les Marocains d’Ho Chi Minh

De Hanoï, on n’aura pas vu grand chose ! Tourista et lumbago pour Daniel auront eu raison de nous pendant trois jours ! On a quand même découvert quelques pépites.

Le temple de la littérature témoigne de l’influence chinoise sur le Vietnam médiéval. Fondé en 1070, il avait pour mission de former les élites du pays.

C’est en fait une série de cours qui se suivent jusqu’au temple principal dédié à Confucius, et à l’Académie de formation. Dans cette première université du pays, tous les mandarins devaient passer des examens pour intégrer l’administration, comme dans la Chine impériale. Les listes des Docteurs est gravée sur des stèles de pierre, année par année, depuis le début. Pas de limite d’âge ! le plus ancien a obtenu son diplôme à 78 ans. tous les espoirs nous sont donc permis.

Après le calme du Laos, la circulation est assez incroyable. Chon est aux anges lorsqu’il faut zigzaguer entre les motos, les scooters et les voitures. Enfin un pays où on ne vous oblige pas à traverser dans les clous.

Le vieux quartier d’Hanoï est appelé le quartier des 36 corporations. Chacune des rues porte le nom d’une spécialité : rue de la soie (évident), mais aussi  rue de la ficelle et du carton, rue du sucre, rue des stèles funéraires. On doit avouer qu’on n’a pas trouvé la rue des vermicelles ! En réalité, les produits sont de plus en plus mélangés dans le quartier, et faits pour les touristes.

Photo: Alexander Mazurkevich/Shutterstock

La bouffe de rue y est beaucoup plus variée qu’au Laos, qui avait donc laissé des souvenirs sympathiques à Daniel. Le problème est de choisir où s’asseoir devant les milliers de bouis-bouis installés dans les rues, à l’hygiène quelquefois limite. On y mange bien, pour trois fois rien (cinq euros à deux !)

Faire le tour du lac Hoan Kiem, qui borde le quartier au sud, est un des plaisirs du soir. La pagode blottie sur un ilot boisé du lac est illuminée comme en plein jour.

Hanoï est aussi bien sûr la capitale du pays, et on ne peut pas faire l’impasse sur le père fondateur : Ho Chi Minh.

A son mausolée, superbe bâtiment stalinien, est accolé un musée grandiose. On peut faire l’impasse sur l’hagiographie dithyrambique de l’oncle Ho, mais ce sont les documents les plus anciens qui sont les plus intéressants.

Ho était membre du PCF pendant ses années étudiantes et présent au congrès de Tours de 1920 ! Depuis lors, il n’a cessé de se battre contre le colonialisme français puis la présence américaine au sud. Il est toujours visiblement vénéré par les vietnamiens.

C’est une amie marocaine en poste à Hanoï qui nous a raconté une anecdote assez étonnante : Ho Chi Minh, conscient de la présence de 50 000 maghrébins dans les troupes coloniales françaises, a sollicité par courrier le PC marocain pour l’envoi d’un cadre responsable pour faire de l’agit-prop auprès de ces soldats de l’armée française. C’est M’hamed Ben Aomar  Lahrach, alias Maarouf, membre du comité central du PCM, ancien soldat « français » à Mont Cassino, qui part en 1949 rejoindre les maquis Vietminh.  Présent à Dien Bien Phu au sein de l’armée nord-vietnamienne il devient, semble-t-il, un ami proche de Ho et de Giap.

Il se marie sur place avec Camille, une franco-vietnamienne communiste, secrétaire dans l’armée française, faite prisonnière et ralliée au Vietminh. Elle sera une des deux seules femmes à rester sur place lors de la « libération » des prisonniers en 1951.

Son action de guerre psychologique (par tracts en arabe, chansons d’Oum Kalsoum ou d’Abdelwahab, et messages par hauts parleurs par dessus les lignes françaises) aurait amené plusieurs centaines de soldats à déserter et à rallier les lignes Vietminh. Il aurait même été présent auprès Giap dans le bunker du général de Castries quand celui-ci a signé la reddition du camp.

Après le 7 mai 1954, il organise les camps de prisonniers maghrébins et supervise la mise en place d’une ferme collective pour les 300 soldats marocains d’Ho Chi Minh. Alors que les prisonniers survivants des terribles camps sont « rendus » finalement à la France et rapatriés, ces ralliés à la cause vietnamienne sont restés jusqu’en 1972 dans le petit village de Son Tay, à 50 kms  à l’ouest de Hanoï. C’est alors seulement qu’ils réussiront à rentrer au pays, avec femmes -vietnamiennes- et enfants. Un article de Jeune Afrique de 2006 revient sur cette épopée, ainsi qu’un film de Nabil Ayouch.

Quant à Aomar, devenu un apparachik vietnamien, avec villa et voiture de fonction à Hanoï, il rejoindra aussi finalement le Maroc, pour finir tristement sa vie parmi l’opposition marocaine exilée en Algérie. Celui à qui Ho Chi Minh avait donné le titre de général et le nom de guerre de Anh Ma (« Frère cheval ») ne s’est jamais remis de ses heures de gloire passées et a vite sombré dans l’alcool. De plus en plus isolé parmi la diaspora marocaine d’Algérie, il décède le 7 mai 1971. Soit jour pour jour 17 ans après la prise de Dien Bien Phu et un an avant le rapatriement de ses soldats..

Que reste-t-il au Vietnam de cette histoire ?

Dans le village de Son Tay, les marocains avaient construit pour se rappeler le pays une… porte monumentale. Une « Bab » comme on en trouve à l’entrée des villes et villages. Rénovée l’an dernier, elle a donné lieu à une cérémonie officielle avec dignitaires vietnamiens et consul du Maroc, en présence de Abdellah Saaf, l’auteur du livre qui a exhumé toute cette histoire rocambolesque.